Isatis

~Le commencement de toutes choses~

A l’Aube d’une Terre nouvelle, tout n’était alors que brouillon… La faune, la flore et tout ce qui vit aujourd’hui n’étaient que des croquis. Il en fallait du temps… Du temps pour créer la vie… Le jour, petit à petit devint lumière et la nuit recouvra son nom d’obscurité. Les choses furent appelées. Ces étranges plantes qui sortaient du sol et pointaient leur tête multicolore furent nommées Fleurs. Le monde devint terre qui devint Royaume. Les villages devinrent villes qui devinrent cités. Les humains se répartirent en peuple ou communauté. Certains se faisaient la guerre, d’autres signaient des traités de paix qu’ils ne respectaient pas. D’autres encore, s’efforçait de faire régner l’harmonie. Mais la volonté destructrice des Hommes ne connaissait pas de répit… Leur hargne, la souffrance de ces mortels, leur sang coulant sur les terres battues, leurs épées s’entrechoquant, leurs cris de rage… tout cela fit remonter des profondeurs les pires créatures que leur piètre imagination ne pouvait concevoir. Ils les appelèrent démons. Démon… la simple évocation de ce mot faisait trembler les humains. Qui étaient-ils ? Pourquoi leur corps était-il si différent ? Pourquoi avaient-ils soif de vengeance ? Ils comprirent bientôt que ces monstres venaient de l’Enfer même. Ils remontaient des Abîmes des terres dévastés. Les Hommes prirent peur et ils confièrent aux plus grands sorciers le soin de les protéger. La communauté des Vasmi vit le jour.
Ces magiciens avaient pour seul principe de détruire le mal définitivement. Tout était simple… L’Eternel combat entre le bien et le mal… Tout était simple… Jusqu’au jour où je naquis…

~Qui suis-je ?~

Je naquis au sein des Vasmi. Ces gens étaient aimants et généreux. On me donna le nom d’Isatis et on m’enseigna la magie pour qu’à mon tour, un beau jour, je protège les humains. Ma mère mourut lors de l’accouchement et mon père n’avait plus refais surface depuis plusieurs années. Elevée ainsi dans ce peuple de sorciers de la paix, je reçu une éducation humble et noble. Cependant, tout ceci ne m’intéressait guère. J’étais obsédée par les terribles batailles qui avaient parfois lieu. Cachée dans une tour, je contemplai sans répit les Vasmi qui se déchaînaient contre une armée de créatures démoniaques. Toujours, les magiciens gagnaient… Je ne comprenais pas ma déception. Pourquoi ? Pourquoi les démons étaient-ils condamnés à perdre ?
Je me posais cette question chaque nuit… Ici, dans ce grand palais, je ne me sentais nullement à ma place. Quelque chose me manquait… Mais quoi ?
Petit à petit, je m’intéressais aux ouvrages de magie interdite… La magie dîtes noire…Je me sentais attirée par les grimoires sur lesquels nous pouvions apercevoir quelques représentations de cadavres…
Une belle nuit, je décidai de sortir au delà des murailles de la cité… Cela était fortement prohibé… J’ignorai pourquoi j’avais fait cela… Peut-être simplement parce que j’avais besoin d’aventure ou alors… je voulais savoir qui j’étais en réalité…
Je marchai dans la forêt, seule… Moi, Isatis, jeune sorcière Vasmi, je n’avais pas peur de la nuit. Ni les loups qui me regardaient passer, ni même les étranges sons qui me parvenaient ne réussissaient à m’effrayer. Lorsque soudain…
- Qui va là ?, demandai-je en entendant un craquement.
Je ne vis personne… Seul le silence me répondit. Pourtant, j’en étais sûre, quelqu’un était là… Une voix sifflante me parla soudainement :
- Je sais qui tu es…
Elle paraissait être partout autour de moi et elle se répercutait en écho.
- Tu es l’Immortelle…
Je levai un sourcil.
- Je suis Isatis ! Je suis magicienne Vasmi ! Et vous ? Qui êtes-vous ?
Pour toute réponse, la voix répéta :
- Tu es l’Immortelle…
L’immortelle… Oui, je connaissais cette légende… Il y avait des années de cela, une puissante démone lança une armé de créatures sur Alyiah, une ville marchande. Cette démone fut restée gravée dans les mémoires et les livres parlaient encore de ses exploits malfaisants. En effet, sous son commandement, les démons envahirent la moitié de notre royaume. C’était la première fois que les Vasmi avaient échoué. Toutefois, nul ne sut comment, mais elle disparut laissant les magiciens regagner leurs biens… Elle disparut en laissant cette dernière phrase inscrite en lettres de sang sur le corps de sa dernière victime : « Je reviendrai… comme l’Immortalité, je ne meurs jamais… »
Je revins les pieds sur Terre… Je m’adressai à nouveau à mon invisible interlocuteur :
- Je ne suis pas l’Immortelle !
- Oh si, tu l’es… Tu te réincarneras encore, à chacune de tes morts...
Et sur ces derniers mots, un courant d’air glacé fit frissonner les arbres de la forêt. Je sus alors qu’il était vraiment parti…

~L’Immortelle~

L’Immortelle… Comment pourrais-je l’être ? Moi, éduqué par les Vasmi. Comment pourrai-je être cet être démoniaque ?
Je rentrai discrètement… Je passais les jours suivants à réfléchir… Je restais durant de longues heures sans parler, ni même bouger. J’étais seulement perdue dans mes pensées… Peut-être que le démon de la forêt avait raison ? Peut-être étais-je l’Immortelle ? J’étais consciente que je ne me sentais pas à ma place parmi les Vasmi… J’étais consciente de ma différence… Mes nuits étaient ponctués de rêves étranges dans lesquels se mêlaient sang et cadavres… Simples songes ou fragments de vies antérieurs ?
Ce fut lors d’une matinée que je sus enfin la vérité… Le sage Heldrahir, vénérable maître de nos contrés, enseignait la littérature. La littérature ! Voilà des années que je me livrai à cette matière inutile ! A quoi servait l’évocation d’écrivains morts depuis des décennies ? Ce jour là, je n’étais pas très attentive et tandis que les apprentis Vasmi griffonnaient leur parchemin de notes incompréhensibles, je regardais par la fenêtre. Le sage donna soudain un coup sur mon pupitre à l’aide de son bâton magique qu’il ne quittait pas. Je sursautai.
- La demoiselle Isatis serait-elle intéressée par ce cours ?
Je ne compris pas pourquoi mais la simple écoute de sa voix au ton autoritaire me mis hors de moi. Je sentis peu à peu la haine m’envahir et je levai les yeux vers Heldrahir. Les autres élèves retinrent leur souffle. Personne n’avait osé croiser le regard du sage depuis des années. Il était craint et respecté.
- Isatis, baissez votre regard.
Peut-être aurai-je dû lui obéir. Peut-être aurai-je dû rester silencieuse. Mais une rage refoulée refis surface en moi et me poussa à le défier. Une rage qui semblait ressurgir du passé…
- Non, répondis-je en me levant.
- Isatis, dois-je utiliser la force contre vous ?
Je souris comme je n’avais jamais souris auparavant. Un sourire sadique…
- Si vous en avez le temps, répliquai-je.
Cette phrase était sortie toute seule de ma bouche, comme si je l’avais répétée des milliers et des milliers de fois. Un instant plus tard, le sage gisait mort sur le sol, le cœur transpercé par la lame d’un couteau dérobé le matin même à la cuisine. Le regard horrifié, les jeunes Vasmi s’enfuirent. Cela ne fis aucun doute… Je compris alors que j’étais réellement l’Immortelle. Trop fière de mon acte je me sentis soulagée d’un poids. La culpabilité ? Non. Seuls les humains la ressente. Un monstre est capable de tuer sans remords…
- Pour l’Immortelle, murmurai-je en fixant le cadavre.
Cette phrase que je disais à chacun de mes meurtres me revint à l’esprit… Je me sentais enfin bien ! Toutefois, ma joie fut de courte durée. Sitôt le temps de me retourner et les magiciens Vasmi m’encerclaient déjà.
- Tu as tuer l’un de nos frère, hurla l’un d’entre eux. Pourquoi Isatis ? Pourquoi as-tu fait cela ?
Je le reconnus. Sage Traem. Il m’avait élevé durant toutes ces années.
- Parce que j’en avais envie, répondis-je, le sang coulant encore sur mes mains.
Les sages se regardèrent à tour de rôle. Garimer, le chef incontesté prit la parole :
- Isatis, ton acte est fortement prohibé de peine de mort !
Je sus alors que je devais mourir. Pourquoi ? Mais pour mieux recommencer !
- Alors soit, criai-je.
Je me dégageai et je sautai dans le vide… Je sautai de la plus haute tour du palais…

~Réincarnation~

Qui suis-je ? Où suis-je ?
J’ouvris les yeux et retroussai mon museau. J’étirai mes pattes en poussant un miaulement. Je me levai… sur deux pattes ! Je trouvai facilement mon équilibre. J’avançais silencieusement, ma queue se balançant au rythme de mes pas. Je passais alors devant un miroir. Mes yeux jaunes s’agrandirent de surprise. Voilà enfin ! Voilà enfin le corps dans lequel je pourrai accomplir mes méfaits !
Moi, Isatis l’Immortelle, j’avais été réincarnée en chat. Je remarquai que je me trouvais au beau milieu d’un village.
- Dans quel lieu sommes-nous ?, demandais-je à un passant qui ne semblait nullement étonné de voir un chat parler.
- Nous sommes à Sarosa, répondit-il avant de passer son chemin.
- Sarosa, murmurai-je.
Je m’imaginais déjà le village à feu et à sang. Je voyais les enfants fuir en me voyant et les femmes pleurer. Qui suis-je ? Une assassin désireuse de faire régner le mal. J’oubliais mes vies antérieurs… Je décidai de reprendre les choses à neuf. Je me pourléchai déjà les babines et me frottai les pattes. Une nouvelle vie. Un nouveau corps. Un même but. Les choses s’avéraient excitantes ! Adieu Humains maudits…